Chute!

(version française plus bas)

A sound. A noise, rather. Always terrifying.

When you hear it behind you in the peloton, you need to refrain yourself from looking back, afraid that we are to recreate a similar catastrophe. Shattering carbon. Body, metal and plastic parts raking the ground. Or, more appropriately, that are torn apart by the implacable asphalted surface.

Except this time, I’m the one producing that sound. And the ground impact is as brutal as it is instantaneous.

There will be no slow-motion recall of the fall. Everything happened simply too fast. My body slammed into the pavement, no gliding involved. I’ll make sense of it afterwards: my wheel got stuck in a hole in the middle of the road and my bike, now a lever, slammed me down while the peloton was going 50 km/h. Therefore, so was I.

I must’ve been distracted. I failed to notice the school of fish-like behaviour of the other racers trying to avoid it. There’s one reason for my predicament; that tiny moment of inattention, and it belongs entirely to me.

I’m lying on the ground. It’s like in action movies where the camera is tilted to impart the point of view of the guy that’s just been shot, and I see the peloton moving away to one side, followed by the sweep vehicle. The only people left are the admirable medics who came, examined my injuries, called an ambulance and wiped away the blood.

Two hours later, I’m in the hospital, in the ER’s waiting room. My clothes have been cut away. My friction-burnt skin has been cleaned and bandaged. I was diagnosed with a collarbone fracture, which I had guessed. Upon closer inspection of the radiographic images, two more fractures were detected: on my hip bone and shoulder blade. I’m waiting in a wheel chair, wearing nothing but the immodest hospital gown.

I don’t have a phone. There’s no TV, no magazines. I look out the window but see nothing. Nothing but the brutal end of my season, who’s staring back at me.

And then they got here. My friends. I’m always happy to see them, and this time around, when they show up, I feel a little less hurt, a little stronger. I can barely walk, but what they tell me acts like a bit of a painkiller and breathes enough courage into me to make it to the car.

Mathieu and Shan were the first to arrive. They tell me Jérôme and Hugues took care of picking up my bike, helmet and race computer from the medics. They told me how hard they pushed for the organization to open a case file.

Then Charles arrived. He picked up his belongings and mine from the house we had rented as a team for the stage race of the Americas Cup. The house where we strategized, scrutinized maps, studied the most likely spots to launch a breakaway. . . All those conversations now seem pointless to me, the designated leader who crashed at the beginning of the final stage.

But no one seems to worry about that too much. Except me. My teammates and friends look at me with just the right mix of amusement and sympathy. They won’t overdramatize. They don’t mention the damaged equipment yet. They, better than anyone else, know what’s going on in my mind. The same mind that can spend entire nights replaying the same failures in a race, over and over. They know, because they do just the same.

We are a disparate and motley bunch. We might not even be friends were it not for cycling. Yet, we found each other a thousand common interests and complicity. Wine, coffee, politics, economics, music, literature, role-playing games. . . Yup, you read that right. Role-playing games.

But at the heart of it all, there’s always cycling. It’s like a sun around which we share an orbit and which eclipses everything else. We all share the same drive to win, the same vocabulary, the same risks. And when one of us falls, the others are all too aware of the countless shades of pain and anxiety.

It’s that common consciousness that becomes the fabric of our team, yes, but also of our entire community. Other racers will ask how I’m doing then next time I race. It comforts me a little, while I’m stuck watching summer go by from my couch. I’m dreaming of joining them. Back on the road. On the hills. I’m already planning my return to full physical form. I know my friends will offer me a bit of aspiration behind their wheels so I can get to the front of the group.

Because, you see, as far as the inspiration to get back on my bike and reintegrate my rightful place in that cycling family goes, their solicitude has already done all the work for them.

A text by David Desjardins

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Un son. Un bruit plutôt. Toujours terrifiant.

On l’entend dans le peloton, et on se retient de tourner la tête, de peur de provoquer, soi-même, une catastrophe du même ordre. Du carbone qui éclate. Des corps et des morceaux de métal ou de plastique qui râpent le sol. Ou plutôt qui sont déchirés par l’implacable surface bitumée.

Mais cette fois, ce son, c’est moi qui le produis. Et l’impact avec le sol est aussi brutal qu’immédiat.

Il n’y aura pas de souvenir de chute au ralenti. Tout se passe trop vite. Mon corps heurte l’asphalte sans même planer. Je le comprendrai ensuite, me relevant immédiatement après l’impact : ma roue s’est encastrée dans un trou au milieu de la route, et mon vélo, devenu une sorte de levier, m’a écrasé au sol alors que le peloton roulait à 50 km/h. Et moi aussi, donc.

J’ai du être distrait. Je n’ai pas vu le banc de poisson que forme les coureurs éviter l’écueil. L’unique responsable de mon malheur est ce minuscule moment d’inattention qui m’appartient entièrement.

Je suis couché à terre. Comme dans les films d’action, lorsqu’on penche la caméra pour reproduire le regard oblique de celui qu’on vient d’abattre, je vois le peloton s’éloigner de côté, puis la voiture balai. Ne reste que les soigneurs, admirables, qui s’approchent, examinent mes blessures, appellent l’ambulance, tamponnent le sang.

Deux heures plus tard, je suis à l’hôpital, dans la salle d’attente de l’urgence. On a découpé mes vêtements pour me soigner. On a nettoyé et pansé ma peau brûlée par la friction de la route. On m’a diagnostiqué une fracture de la clavicule que j’avais justement devinée. On m’en trouvera une à la hanche et une autre à l’omoplate après l’examen des radiographies. J’attends, dans une chaise roulante, uniquement vêtu de l’impudique jaquette hospitalière.

Je n’ai pas de téléphone. Il n’y a pas de télé, de magazines. Je regarde par la fenêtre et ne vois rien. Sinon la fin de ma saison, brutale, qui me contemple, elle.

Puis ils arrivent. Les amis. Je suis toujours heureux de les voir, mais lorsqu’ils débarquent à ce moment précis, je me sens un peu moins blessé, un peu plus fort. J’arrive à peine à marcher, mais ce qu’ils me racontent m’anesthésie un peu et me donne le courage d’avancer jusqu’à l’auto.

Mathieu et Shan arrivent les premiers. Ils me racontent Jérôme et Hugues qui se sont chargés de récupérer mon vélo, mon casque et mon ordinateur de bord chez les soigneurs. Ils me disent leur insistance auprès de l’organisation afin qu’ils produisent un dossier d’incident.

Puis Charles arrive. Il est passé ramasser ses trucs et les miens à la maison que nous avions louée en équipe pour la course à étapes de la Coupe des Amériques. La maison où nous avons discuté stratégie, regardé les cartes, étudié les lieux les plus plausibles pour lancer une échappée… et ces conversations me semblent soudainement bien oiseuses, vu mon statut de leader désigné, et ma chute en début d’épreuve finale.

Mais personne ne soucie trop de cela. Sauf moi. Les coéquipiers et amis me regardent avec ce qu’il faut d’amusement et de sympathie. Ils évitent de dramatiser. Ils ne me parlent pas tout de suite du matériel endommagé. Ils savent mieux que quiconque ce qui se trame dans mon esprit. Cet esprit qui passe parfois des nuits à rejouer les actes manqués de la course. Ils savent parce qu’ils font la même chose.

Nous sommes une bande disparate, hétéroclite. Nous ne serions peut-être pas amis, si ce n’avait été du vélo. Mais nous nous sommes trouvés mille intérêts communs et connivences. Le vin, le café, la politique, l’économie, la musique, la littérature, les jeux de rôle. Oui oui. Les jeux de rôles.

Mais au centre, il y a toujours le vélo. Sorte d’astre autour duquel nous évoluons tous, dans des orbites qui nous font nous rencontrer, et cela éclipse alors tout le reste. Nous partageons la même envie de gagner, le même vocabulaire, les mêmes risques. Et lorsque l’un d’entre nous tombe, les autres savent trop bien chaque douleur, et chaque angoisse.

C’est cette conscience commune qui tisse en quelque sorte la courtepointe de notre équipe, de notre communauté, aussi. À la course suivante, les autres coureurs demanderont de mes nouvelles. Cela me réchauffe un peu le cœur, tandis que je contemple l’été qui s’enfuit depuis mon divan. Et je rêve de les rejoindre. Sur les routes. Dans les côtes. Je pense déjà à mon retour à la forme. Je sais que mes amis me prêteront un peu d’aspiration, derrière leur roue, pour rejoindre l’avant du groupe.

Car pour ce qui concerne l’inspiration à remonter en selle et reprendre ma place dans cette famille cycliste, leur sollicitude a déjà fait le travail.

Un texte de David Desjardins

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