Faire œuvre utile

Proprio de la boutique cycliste montréalaise Maglia Rosa, Yannick Perreault est incapable de laisser quelqu’un mariner dans son malheur. Impliqué dans sa communauté, agissant comme mentor auprès de ses employés, ce toqué de vélo a toujours le même motif plus ou moins caché lorsqu’il entreprend un projet : altérer positivement le destin des autres.

Généreux. Dans le portrait qu’il dessine de son patron, l’adjectif se répète comme une marque de ponctuation dans la bouche d’Olivier Proulx, employé de la boutique Maglia Rosa.

Yannick Perreault, le principal intéressé, ne s’en cache pas : aller vers les autres, rendre service et s’impliquer dans son milieu confèrent du sens à ce qu’il fait. Et plus généralement, à son existence. « J’ai passé beaucoup de temps avec mes grands-parents quand j’étais jeune. Et s’il y a une chose que j’ai apprise d’eux, c’est que tu ne laisses pas quelqu’un dans le trouble. Tu l’aides. »

« Ça me rend très émotif de parler de ça », s’étrangle-t-il un moment avant que le sentiment s’estompe et que sa parole retrouve son élan. « Des mauvais épisodes, de la malchance, ça arrive à tout le monde. Quand c’est ton tour, t’es juste content que quelqu’un soit là pour t’aider. » Souvent, ce quelqu’un, c’est Yannick. 

« C’est un meneur charismatique, mais pas du genre qui prend toute la place ou qui s’écoute parler. Il prend soin des autres, précise son jeune employé. Je me souviens d’une de mes premières rides avec lui, je m’étais mis dans le peloton de tête où il se trouvait aussi, mais je me suis rapidement fait larguer. Plutôt que de me laisser seul, il s’est laissé glisser, m’a attendu, puis on a terminé les 130 km ensemble. Plus tard, je l’ai vu faire la même chose avec d’autres. Des employés, des membres du club, des invités. Ça n’a pas eu l’air de le déranger, jamais. »

          Yannick (centre) au coeur de vie cycliste communautaire

Yannick Perreault a sans doute quelque chose comme l’âme d’un saint-bernard. Il fait partie de ces humains qui vivent en réseau, liés aux autres de manière invisible et pourtant presque palpable, cherchant toujours à préserver ce qu’on pourrait appeler le bien commun en tirant ceux qui l’entourent vers le haut. Un par un. On n’a pas de difficulté à l’imaginer guidant des cyclistes en voyage, comme il l’a souvent fait. Ou alors menant des initiatives citoyennes et commerciales afin d’améliorer le réseau cyclable de Montréal. 

Ses gestes sont parfois politiques, parfois microscopiques. Il peut autant tenter d’infléchir la dépendance à la voiture dans Saint-Léonard, où logeait anciennement sa boutique, que réduire la facture d’un client qui a l’humilité de lui confier qu’il n’a pas les moyens d’acquitter la somme des réparations nécessaires sur son vélo de ville. « J’en profite pour lui expliquer qu’un entretien plus rigoureux lui aurait permis d’éviter des frais », tempère-t-il, voyant là une mission éducative, rentable pour tous. Et aussi l’occasion de faire croître sa communauté. « Ça fait un cycliste de plus sur la route. »

« La première fois que je l’ai rencontré, renchérit Olivier, je venais de chuter dans Camillien-Houde. Le plus simplement du monde, il m’a offert de me prêter un vélo. »

« Je serai jamais capable de laisser quelqu’un derrière », affirme Yannick. « Le malheur, l’injustice, ça me fait capoter. » On le croit. 

Aider, toujours

Né à la fin des années 1970, Yannick passe sa jeunesse au nord de la métropole, dans les Laurentides. Il s’initie au BMX et participe à ses premières compétitions à 9 ans. Puis le vélo de montagne passe dans son champ de vision et capte son attention, le menant sur le circuit provincial de cross-country au mitan de son adolescence. « J’ai fait du vélo toute ma vie, mais il y a un bout où les arts martiaux ont pris presque toute la place », raconte celui qui détient une ceinture noire depuis 1996 et qui a participé aux compétitions les plus prestigieuses du pays en karaté Shotokan. 

Il en a tiré une éthique qui, lorsqu’on la superpose à celle de ses grands-parents, explique sa rigueur, son sens de l’observation, son souci du détail. On sent aussi toute son histoire traversée par le désir d’aller au bout de ses passions successives et d’en extraire toute la moelle. 

« Avant d’être dans le vélo, il a longtemps été dans l’automobile », relate Olivier. 

Mécanicien, pour être plus précis. Dans un concessionnaire Subaru, puis dans les puits de piégeuses pistes de rallye où il devait bricoler des voitures rudoyées aussi rapidement qu’efficacement. « Je tripais sur tout ce qui avait un moteur, raconte Yannick. Mes convictions écologistes m’ont amené ailleurs, mais je trouve encore une certaine paix à faire de la mécanique auto pour des amis. Depuis le début de la pandémie, je passe le plus clair de mon temps libre à la maison à faire ça dans le garage. »

                                   Jamais bien loin d'une voiture

En 2006, après ses années de mécanique auto, il débarque dans le monde des boutiques de vélo où il est tour à tour mécano, vendeur, gérant. Quelques années plus tard, il fonde Maglia Rosa, qui emprunte son nom, comme on le sait, à la tunique du meneur sur le Giro d’Italia. Le maillot rose. Un nom doublement évocateur lorsqu’on s’établit, comme il le fait alors, dans Saint-Léonard, quartier connu pour sa forte concentration en Montréalais d’ascendance italienne.

Charmé, comme tant d’entre nous, par le mirage de Lance Armstrong, il embrasse la route à l’aube des années 2000. « Ça n’avait été, jusque-là, qu’un moyen de m’entraîner pour le vélo de montagne quand j’étais plus jeune. C’est l’esprit communautaire qui m’a tout de suite séduit : les sorties de groupe, la bière en terrasse après. Et puis comme je suis mécanicien, je suis aussi devenu une ressource. » Ce qui a l’heure de lui plaire. Encore une fois, il donne son temps et fait partager son talent. 

Plus on découvre le personnage, plus on sent son désir de faire œuvre utile. Dans tout ce qu’il entreprend. « Il m’a tellement aidé à m’organiser dans la vie, confie Olivier Proulx, c’est incroyable tout le temps qu’il consacre aux autres, à les écouter, les conseiller, les former. »

Dans le doute, mets le gaz au fond

Yannick Perreault s’enthousiasme un peu moins pour la route qu’autrefois. La preuve : il a passé le plus clair de l’été dernier dans les bois, sur son vélo de montagne, et sur les chemins de garnotte.

Sa flamme pour le cyclocross n’a cependant pas décru, même si sa pratique est en jachère. Il a découvert ce sport vers 2009 et en est devenu fou. Pour lui, le cyclocross compose en quelque sorte la somme de ses précédentes ardeurs sportives : le pilotage et le format des courses s’apparentent au rallye automobile, la technique le ramène au BMX et au vélo de montagne. 

Comme d’habitude, il va au bout de sa passion. « Sur mon vélo de cyclocross, j’avais inscrit une citation de Colin McRae, un pilote de rallye légendaire : In doubt, flat out. » Traduction : dans le doute, mets le gaz au fond. Ce qu’il fait toujours, semble-t-il, peu importe le projet. 

Pendant plusieurs années, Maglia Rosa – maintenant déménagée dans Rosemont – est le commanditaire officiel de la série provinciale de cyclocross qui porte son nom. Un apport qui contribue au développement du sport et à son expansion dans la province. Les courses gagnent en qualité, les organisations se professionnalisent et les coureurs sont nombreux au rendez-vous.


« Ça m’a éloigné de la course un peu, dit-il. J’avais d’autres choses dont je devais m’occuper, on avait aussi notre équipe, j’arrivais à la ligne de départ sans avoir eu le temps de faire un échauffement qui avait de l’allure... Donc j’ai fait moins de courses dans les dernières années. Mais encore là, ce n’est jamais un fardeau pour moi de faire ce genre de choses. Donner ces saisons-là pour le sport, c’est un cadeau. La reconnaissance que je reçois de mes pairs en retour me comble amplement. »

                                           Yannick Perreault

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