Transmettre le feu

Justine Martel aime le vélo parce qu’elle aime aussi les gens qui en font. « Pour elle, explique son amie Laurence Baril, la beauté du cyclisme s’exprime dans les rencontres qu’on fait en roulant. »

                                                Justine Martel

De fil en aiguille, l’étudiante en architecture a développé une éthique du plaisir dans le peloton. Principe qu’elle applique sans en faire grand cas. Mais pas non plus innocemment. « Pour moi, c’est fondamentalement un sport social », dit-elle.

« C’est une rassembleuse, elle veut démocratiser le vélo, renchérit Laurence. Son idée, c’est d’être en compétition avec elle-même, mais jamais avec les autres. Pour elle, rouler en groupe, c’est un moment de partage. »

                              

Justine a d’abord développé son intérêt pour le cyclisme par osmose amoureuse et dans le travail. Son partenaire Kevin Lynch lui a insufflé un peu de sa débordante passion tandis que ses emplois dans des boutiques de sport, dont Vélo Cartel de 2018 à 2020, ont fini d’alimenter la douce fièvre qu’elle éprouvait pour la petite reine.

C’est à ce moment, au contact des clients qui prennent possession d’un nouveau vélo ou d’un morceau de vêtement, qu’elle construit son désir de partager avec les autres ce qui lui a été transmis. Parce qu’elle sait que rouler avec d’autres apporte un véritable supplément d’âme à ce qui pourrait n’être qu’un sport, mais qui pour elle est bien plus encore. 

Une idée du vivre ensemble. 

Offrir au monde la beauté

Il émane de la jeune vingtenaire un calme vibratoire. Quelque chose comme une joie de vivre mêlée à une attitude de recul qui semble lui permettre de mieux envisager son environnement et jauger les personnes qui croisent son chemin. Pas du genre à envahir votre espace vital, mais tout de même à chercher le contact, mue par une gentillesse authentique. « Elle est portée à aller vers les autres et s’y intéresse vraiment, insiste Laurence. C’est naturel, jamais faux. Elle n’a pas de malice et perçoit le bon dans chaque individu. C’est vraiment une personne rafraîchissante, qui est contente de te voir pour vrai. Il n’y a aucune bullshit avec elle. » 

Lorsqu’on demande à Justine ce qui lui plaît de l’architecture qui occupe le plus clair de son temps, sa réponse n’a rien de surprenant si on la connaît ou que l’on vient de lire ces dernières lignes : « Je pense que c’est un métier qui rend les gens heureux. J’aime l’idée que des personnes vivent dans un endroit qui les fait se sentir bien, et d’y avoir contribué. J’adore travailler avec la lumière, créer des atmosphères. C’est un travail très technique et rationnel en même temps que créatif. Et cette créativité, la possibilité de fabriquer du beau, je crois que c’est essentiel à la société. Je suis heureuse de participer au bonheur collectif de cette manière-là. »

Et on sait qu’il n’y a, comme le dirait son amie, pas un soupçon de bullshit dans cette réponse.

Pour et avec les filles

Le prolongement cycliste de ce penchant marqué pour l’altruisme, Justine l’a trouvé dans l’organisation de groupes d’entraînement exclusivement féminins, auxquels elle se joint évidemment.

Une expérience qui a atteint son apogée lors du déconfinement partiel de l’été 2020, tandis que des jeunes femmes se présentaient par dizaines lors des sorties hebdomadaires organisées chez Vélo Cartel. 

Pour la plupart, il s’agissait de rouleuses assez peu expérimentées, habituées à pédaler seules ou avec des groupes majoritairement masculins. Justine avait depuis longtemps compris que la démocratisation du vélo chez les femmes passerait par un esprit de sororité en marge des joutes auxquelles s’adonnent les hommes entre eux. 

                               Les filles du Collectif Vélo Cartel

« Il y a beaucoup de filles qui se sentent peu sûres d’elles en vélo, constate Justine. Elles ont peur de ne pas pouvoir suivre les gars, ou alors d’être un boulet. Et elles n’ont pas nécessairement envie de rouler seules non plus. Avec les gars, il y a un aspect compétitif qui est presque omniprésent, et ça peut être intimidant de s’intégrer à un groupe compétitif, physiquement plus fort et où on a l’impression d’être de trop. Entre filles, la dimension purement sociale l’emporte. »

Ce qui n’exclut pas le dépassement. Ces sorties étaient aussi, après tout, des entraînements. 

« Mais l’idée, c’était de se pousser, de s’encourager. Pas de savoir qui serait la plus forte. Oui, c’est un sport. Oui, on peut se comparer. Mais c’est pas le but. En tout cas, pas dans ces sorties-là. Et je pense que c’est exactement pour ça qu’elles ont connu un tel succès. »

Impossible, dans ce type d’activité, de trouver un modèle plus positif qu’elle afin d’encourager cette attitude. « Parce que même dans les moments difficiles, dit Laurence Baril, même dans des sorties plus ardues, elle cherche le positif. Elle va quand même trouver le moyen d’avoir du fun. »

Changer des vies

Comme nous tous, Justine attend avec impatience de voyager à nouveau. Avec son vélo, bien sûr. Celle qui s’est colletée avec une poignée de cols dans les Alpes françaises et a filé sur l’impeccable tarmac dans les environs de Gérone rêve aujourd’hui de l’Italie. 

Pour le moment, elle continue d’échafauder les plans d’un vivre ensemble qui se déploie sur la route ou les chemins de terre, à travers villes et champs. Et toujours, avec les gens. 

« On a tellement besoin des autres, souligne-t-elle alors que le contexte social [nous sommes à ce moment en second confinement, à l’hiver 2021] nous le rappelle douloureusement. Les connexions sont différentes avec chaque personne, on apprend de tout le monde. Ces contacts me permettent de recevoir quelque chose de positif mais aussi d’en donner en retour. »

Lorsqu’on lui suggère que toute son existence paraît tournée vers l’idée d’améliorer la vie des autres, elle semble presque surprise. Comme si elle n’y avait jamais pensé. 

« Ça me vient naturellement, faut croire. » Ajoutant, comme pour éviter de se donner trop de mérite, qu’elle en retire aussi un bénéfice. « Quand tu y penses, il y a une certaine satisfaction qui vient avec ça. Le sentiment du devoir accompli. »


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